Entretien avec Pascale Sévigny-Vallières
DDL : Comment imaginais tu le livre au tout début ? Quelles images le texte a-t-il fait naître en toi ?
PSV : J’ai reçu la première version du texte en Espagnol. J’étais très curieuse, mais il y avait la barrière de la langue. Avec la traduction de Google, j’ai pu avoir un aperçu du texte imagé et évocateur. J’ai été touchée par cette histoire racontée au «je» par le pissenlit. J’ai tout de suite eu envie de dessiner des plantes avec des dents. Les premières images qui n’étaient pas des dessins d’observation de pissenlits ont été très ludiques avec les abeilles qui jouaient dans les fleurs ou encore des fleurs avec des dents pointues ou des poils hérissés. C’était très satisfaisant pour moi de dessiner des fleurs avec une pointe de méchanceté car j’ai dessiné beaucoup de belles fleurs pour des imprimés floraux par le passé. Le contraste entre ces deux univers était intéressant.
Ton univers graphique est très ludique et coloré. En voyant ton travail pour la première fois, j’ai tout de suite pensé à Květa Pacovská. Où puises-tu ton inspiration ?
Je suis honorée par le lien de parenté que tu fais entre mon travail et celui de cette grande illustratrice tchèque que j’admire. Elle reste à ce jour mon illustratrice préférée. Je retiens de son travail les notions de contraste entre les formes, les couleurs et les textures. Il y a une grande liberté dans son travail qui me plaît énormément.
Je puise mon inspiration dans plusieurs sources à la fois petites et grandes. J’aime m’entourer de petits objets hétéroclites qui rappellent l’enfance, de vieilles photographies et de livres. Dans mes boîtes d’images, je collectionne des cartes postales rapportées de mes grands voyages : œuvres d’art, art populaire, peintures, personnages insolites ou personnages d’un autre temps. J’aime beaucoup les vieilleries avec une histoire. Je trouve aussi l’inspiration dans les mots imagés, dans la poésie.
Pour les illustrations, tu as utilisé du fusain, des pastels secs, des techniques de collage, de la gouache acrylique, de l’encre. Qu’est-ce qui t’a amené à travailler avec ces techniques ?
Lorsqu’on m’a approchée pour cet album, on m’a fait part de l’intérêt pour un autre projet de livre que j’ai réalisé à la maîtrise en design, entre autres pour le rendu visuel qui intégrait la grisaille du fusain avec des petites touches de couleurs significatives rouges et jaunes. Ce livre s’adressait avant tout à un public plus mature. L’idée était donc d’adapter ce style graphique à un public jeunesse avec plus de couleur.
L’utilisation des techniques mixtes me permet une plus grande liberté. Avec le collage, je peux jouer avec les différents éléments découpés et les recomposer ou les réassembler si j’en ressens le besoin. Travaillant de façon majoritairement traditionnelle, cette latitude est essentielle pour moi pour ne pas me sentir coincée dans une image.
J’utilise les différents matériaux selon leurs qualités propres. Ainsi, une encre diluée sur un papier aquarelle pourra créer un bel effet vaporeux, le fusain ou le pastel auront un grain doux, une texture intéressante et un aspect couvrant pour les fonds. Enfin, la gouache acrylique aura une belle opacité et une souplesse pour le travail des personnages qui doivent être contrastés et bien lisibles. J’ai d’ailleurs commencé à utiliser la gouache acrylique pour ce projet et j’ai adoré ses couleurs très pigmentées.
Peux-tu nous en dire plus sur ton processus créatif ?
J’ai toujours aimé expérimenter à travers diverses techniques et matériaux. J’éprouve un grand plaisir à générer de grandes quantités de matières premières qui me serviront dans mes projets plus tard. Je recherche les surprises, les imperfections et les accidents qui nourrissent ma création. C’est pourquoi je travaille beaucoup de façon traditionnelle. J’aime m’installer devant une feuille de papier pour peindre des motifs et mettre les ciseaux dedans par la suite pour créer d’autres formes.
Mon travail personnel se développe à travers les séries d’images. Je m’impose certaines contraintes au départ : palettes de couleurs, matériaux, format, etc. Ces contraintes deviennent des balises à l’intérieur desquelles je crée mes images. Par exemple, j’ai récemment acheté des petits carnets de couleur crème de 48 pages. En m’imposant une thématique, je remplis le carnet de la première à la dernière page. Ces carnets expérimentaux à thématiques (oiseaux, plantes, masques, etc.) deviennent des sources d’inspiration importantes lorsque viennent les commandes.
J’ai besoin de ces espaces de création spontanés pour créer des illustrations uniques. Ma pratique personnelle nourrit assurément ma pratique professionnelle et j’essaie de lui laisser une juste place au quotidien. Cela permet à mes images de respirer. De temps à autre, je ressens aussi le besoin de changer de registre et de jouer avec les mots pour créer de la poésie.
C’est aussi ton premier livre jeunesse, en quoi cette expérience a-t-elle été différente ?
Illustrer un album jeunesse était un de mes plus grands rêves. Lors de mes études en design graphique à l’UQAM, j’ai adoré un cours sur le design de livre dans lequel on ne faisait pas que du design, mais où l’on créait notre propre contenu de façon expérimentale pour le mettre en page par la suite. C’est ainsi que j’ai apprivoisé le design d’auteur et où j’ai senti ma voix se dessiner davantage que dans le cursus habituel. J’ai poursuivi dans cette direction à la maîtrise où j’ai réalisé un projet de recherche-création qui s’est matérialisé sous la forme d’un livre poétique illustré.
Le défi pour moi avec Le grand vol de la petite Dent-de-Lion n’était pas tellement de donner dans l’illustration jeunesse, mais plutôt de travailler à partir du texte de quelqu’un d’autre. Je suis plutôt habituée de contrôler tous les paramètres dans mes projets de livres personnels (textes, illustrations et design). Dans ce projet, je devais donc me concentrer sur les illustrations et je dois dire que cela m’a fait du bien de ne pas pouvoir jouer dans le contenu du texte. Un autre défi pour moi était le nombre de pages limité car j’ai l’habitude d’étirer mes images en séquences sur plusieurs pages. Ici, il fallait aller droit au but.
Enfin, un autre défi pour moi a été l’intégration des décors dans mes illustrations. J’aime beaucoup créer des personnages ludiques et colorés, mais j’en oublie parfois les décors. Dans ce livre, les lieux visités faisaient partie du panorama éclectique où Dent-de-Lion cherche à se poser. Les lieux doivent donc être évocateurs des sentiments vécus par le personnage.